Ruralité

Il est toujours difficile de sélectionner une photo dans une série. Je préfère celle ci à la précédente. Elle me parait plus fluide, plus lisible. Qu'en pensez vous ?

De la chape de glace du canal, il ne reste que ces plaques qui se disloquent, entrainées par un léger courant, et qui brisent les reflets des arbres. Bien sûr, la photo a été retournée verticalement. Elle nous montre donc une scène impossible, mais qui traduit bien l'ambiance onirique d'une soirée de fin d'hiver (j'espère) au bord de l'eau.

C'est une grise journée d'hiver. Le soleil n'est pas parvenu à percer le brouillard et les feuilles mortes restées sur les arbres sont perlées de givre. Voilà un temps propice pour faire des gaufres après une balade dans les bois pour se mettre en appétit.

J'arpentais un chemin rectiligne, gelé et monotone, sculpté par de lourds engins industrieux et xylovores, lorsque je suis tombé sur cette petite clairière. D'un seul coup, la forêt redevenait un lieu d'émotion, de beauté et de mystère.

Quand on peut voir ceci au hasard d'une ballade d'un soir à moins d'un kilomètre de sa demeure, on ne regrette pas de vivre à la campagne, même en hiver. La photo date d'une quinzaine de jours. La glace a fondu à présent et le canal a retrouvé un aspect plus conventionnel. Mais l'hiver peut encore nous réserver des surprises...

Lorsqu' Hubert Reeves prétend que si une montagne accouchait d'une souris, il faudrait crier au plus extraordinaire des miracles, il fait un euphémisme. Le moindre brin de mousse se situe au confin du champ du possible. Mais alors que dire lorsque, debout devant ce paysage, vous vivez cette soirée d'hiver avec l'indicible conscience d'exister ? Le miracle, ce n'est pas le paysage, c'est qu'il existe quelqu'un pour le regarder, quelqu'un pour écouter le chant du possible.

C'est l'instant particulier où tout devient bleu. Le ciel devient bleu. La glace devient bleue, et tout ce qui se trouve entre les deux prend cette couleur unique, fugitive et éternelle, tangible et impalpable.

Toujours sur l'étang gelé, lorsque la glace devient rose et que les ombres s'allongent à l'infini. Au premier plan surgissent quelques buissons. Au loin, dans ce qui reste d'eau accessible, se sont regroupés les derniers palmipèdes sédentaires. Rien de spectaculaire ici, juste la tranquillité d'un soir d'hiver.

Imaginez vous en pleine nature, sur un étang gelé, par une soirée glaciale. Le soleil qui se couche va bientôt teinter le ciel de ce rose qu'on ne voit qu'en hiver. La beauté du paysage est intimidante. Je n'ai pas les mots pour dire le privilège d'être ici. Depuis le bord, un photographe m'observe. Il a eu la même idée que moi. J'en profite pour le saluer car je suis presque sûr qu'il viendra voir mes clichés.

La beauté de l'hiver se révèle souvent dans les détails, tel ce morceau de sol gelé en lisière de forêt. J'aime cette végétation, les herbes sauvages, les orties. Je la préfère de très loin aux gazons uniformes des lotissements. J'aime la retrouver dans ces petits coins qui n'ont pas été trop "nettoyés" et qui donnent une âme aux villages, aux hameaux, et aux fermes.

Le soleil se couche derrière les grands arbres noirs, dans le silence presque lugubre de l'hiver. J'ai aperçu une voiture au loin, sur la petite route, et aussi un rat gondin tout à l'heure au bord de l'eau... Il n'y a pas foule ici, les gens ne se pressent pas pour profiter du spectacle :-).

Les arguments sont nombreux pour penser que ce genre de traitement numérique tape à l'oeil et commercial altère l'identité de la Photographie... Ce qui compte pour moi n'est pas tant le moyen utilisé pour réaliser cette image que l'émotion ressentie en la regardant. Certes aucun fusain, crayon de couleur ni aquarelle ne sont intervenus dans sa fabrication. Elle est le résultat de l'exécution par une machine à architecture de Von Neumann de l'algorithme de calcul d'une fonction non inversible. A ceci près que la donnée d'entrée du programme était une photographie et que les choix des paramètres de traitement en font, parmi les milliards de variantes possibles, une représentation unique - et donc originale - du petit pont de la Ramisse par une grise journée d'hiver.

Pas de neige cette année en Bourgogne pour les fêtes, mais une féérie de lumières, de couleurs dans la nature endormie. Le solstice d'hiver est passé, la durée d'ensoleillement va croître doucement. On commence déjà à penser au printemps. Je vous souhaite une bonne année, pleine de découvertes, d'émotions et de simplicité.