Décalcomanies et crise agricole

Enfant, je n’ai jamais manqué de rien. Mes parents possédaient un petit pavillon, une 2cv, une télé noir et blanc et un poste de radio jaune. Nous mangions à notre faim, étions correctement vêtus et avions des jouets à Noël. Je ne suis allé qu’une seule fois en vacances avant l’âge de 12 ans, mais nous vivions à la campagne et mon frère et moi-même avons reçu ce qu’il y a de plus précieux au monde : le temps, l’espace et la liberté. Nous avions très peu de contraintes (contrairement aux enfants des familles aisées) et nous pouvions vagabonder dans les friches, les forêts, les combes, les grottes, les appentis, les caves, et les greniers des maisons de nos camarades ; nous pouvions construire des cabanes, des engins improbables (comme par exemple des pièges à souris, des véhicules sans freins, des machines à faire mûrir les fraises), faire des potions et des rogommes (on prononce rogâumes),  créer des jardins extraordinaires, des sociétés secrètes, des laboratoires de recherche, et bien d’autres choses. Notre enfance était scindée en deux mondes : le paradis et l’école. Et de temps en temps, au paradis, ma mère nous offrait des planches de décalcomanies qui représentaient un cadre rural, par exemple une cours de ferme, un village, ou une mare, sur lequel il fallait placer des outils, des personnages et des animaux. Les photos que je présente aujourd’hui ont fait remonter dans mon esprit le souvenir de ces décalcomanies dans lesquelles il y avait de nombreux objets ayant la même taille apparente quelle que soit leur position dans le décor. 

J’aime particulièrement les trois premières photos de ce billet. On peut y voir un paysage scindé en deux parties séparées par une route. En bas, une prairie avec deux sortes de vaches, une éolienne alimentant un abreuvoir, une mangeoire à foin, des clôtures. En haut, un champ moissonné dans lequel des paysans s’activent, au volant de leurs engins, à rassembler des bottes de paille. Une scène rassemblant tous ces emblèmes de la ruralité est très rare, mais il y a en plus une particularité, à savoir que le champ et le pré sont presque de la même couleur, ce qui n’arrive qu’en cas de sécheresse prononcée.





Comment, ne pas penser, en voyant ces photos, à la « crise » qui touche actuellement le monde de l’élevage et de l’agriculture. Je mets le mot entre guillemets car à mon avis il ne s’agit pas d’une crise mais d’un problème structurel, conséquence logique des choix politiques de ces dernières décennies. Je précise avant d’aller plus loin que je ne suis ni paysan, ni issu d’une famille de paysans. Mais tout le monde a le droit d’avoir une opinion et de l’exprimer. Je ne prétends pas détenir une quelconque vérité, et je ne redoute rien tant que la pensée unique. Mon opinion, c’est que notre pays, en accord avec les idéaux de l’union Européenne, s’est engagé depuis longtemps dans une politique agricole productiviste, avec tout ce que cela suppose en terme d’impact sur l’environnement : destruction de haies, bosquets, sentiers et zones humides, drainage, utilisation massive d’engrais chimiques et pesticides. La terre agricole est devenue un substrat de culture presque stérile, qui ne contient plus d’humus, plus de lombrics. L’eau des rivières est chargée de nitrates et de résidus chimiques divers et variés et les insectes pollinisateurs disparaissent à vue d’œil. Je ne tiens pas les exploitants agricoles pour responsable de ce désastre, car ils ne font qu’appliquer les méthodes de travail qui leur ont été enseignées, préconisées par leurs organismes de tutelle, à grands renforts de subventions. Il faut produire, produire, produire, et cela est devenu un piège redoutable. Plus on produit et plus les prix baissent, et plus les prix baissent, plus il faut produire, ce qui suppose des investissements de plus en plus lourds, l’achat de matériel très couteux, et pour payer tout cela il faut produire encore plus. Les petites exploitations disparaissent, absorbées par des structures géantes, qui seront peut-être bientôt elles-mêmes englobées dans des entreprises multinationales pour lesquelles nos territoires ne seront que de simples ressources dont il faudra tirer le maximum. À ce jeu-là, je crains qu’il n’y ait très peu de gagnants. La solution passe par une remise à plat de nos valeurs en matière alimentaire : manger local, moins de viande, des aliments de meilleure qualité, payés à un prix en rapport avec le coût de modes de production respectueux de l'environnement.






Commentaires

  1. Bien qu'étant un peu plus jeune que toi je me rappelle avoir eu des décalcomanies, crois tu que ça existe encore? Tu as cherché? Tu as demandé à google?
    Quant à la "crise" agricole, je partage ton opinion. Heureusement certaines petites associations organisent des circuits courts parfaitement vivables où chacun s'y retrouve. À chacun de prendre ses responsabilités!

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    1. Il existe encore des planches de décalcomanies, mais j'ai l'impression que les dessin sont moins fouillés, simplifiés comme pour les dessins animés modernes.

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  2. un pré jaune.. un nuage décoratif ... tes photos sont belles , et la situation est grave...

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    1. Il y a eu bien pire situation, je pense aux dernières guerres mondiales, donc il faut relativiser mais je crois effectivement qu'on fait une belle bêtise en appliquant la doctrine productiviste dans tous les domaines.

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  3. je ne peux qu'applaudir aux mots "La terre agricole est devenue un substrat de culture presque stérile, qui ne contient plus d’humus, plus de lombrics"
    sur notre ferme on se bat pour un sol vivant, quand notre fils est arrivé sur l'exploitation (il a 23 ans), après être passé par l'enseignement agricole, et même s'il connaissait les pratiques de son père , cela n'a pas été toujours facile. Aujourd'hui , ça y est, ça va,
    et on peut aussi constater une certaine ouverture du côté de l'enseignement.
    .Mais chez nous, on passe pour de sacrés originaux, nos cultures sont scrutées etc..
    L'analyse est très juste, comment arriver à changer ces mentalités, les sceptiques, les technico commerciaux , très commerciaux d'ailleurs..

    Et pour les chargements, je comprends mieux comment ils peuvent arriver à couper les fils.... Isa

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    1. Merci beaucoup pour ce retour. Concernant les chargements de paille, je pense que la campagne doit rester un espace de liberté ce qui est possible parce qu'il y a moins de monde qu'en ville. Je ne serais pas choqué qu'un tracteur transporte trois couches de bottes cylindriques empilées et non sanglées pour un court trajet jusqu'au lieu de stockage, mais pas s'il faut traverser un village.

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  4. de belles photos avec les éoliennes que j'aime alors que les autres...il y aurait beaucoup à en dire
    quand à la gestion du territoire c'est une question qui est trop souvent traitée par des "énarques" ayant une vue de si haut qu'elle ne touche pas le sol

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    1. Oui, mais localement aussi, les gens manquent souvent d'un peu de poésie et ne se rendent même plus compte de la beauté de la campagne et de ce qu'on perd en la transformant en machine à produire.

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  5. De belles images pour une profession de foi à laquelle je ne peux qu'adhérer... et que je pratique depuis plusieurs années. Mais, évidemment, cela suppose aussi une certaine aisance et je ne peux pas jeter la pierre aux familles qui doivent se contenter de la grande distribution!
    J'aurais pu faire la même description de mon enfance - temps des émerveillements et des découvertes! Par contre, je n'ai pas connu ces décalcomanies, mais à ton explication, je comprends comme tes photos y ressemblent!
    Un très bel article, merci!

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    1. Il est vrai que produire mieux entraine nécessairement une augmentation des prix de la nourriture. Notre mode de vie actuel nous a habitué à des denrées alimentaires abondantes et bon marché. Quand je mange au restaurant universitaire, je paie un peu plus de 6 Euros pour un repas complet (entrée, légume, viande ou poisson, fromage, dessert) dont les matières premières coutent un peu moins de 2 Euros. A ce prix, on ne peut pas avoir des aliments de qualité, produits dans le respect de l'environnement, mais on peut manger vite, sans cuisiner, et satisfaire nos objectifs de productivité dans notre activité professionnelle...

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  6. Nous " avons reçu ce qu’il y a de plus précieux au monde : le temps, l’espace et la liberté". Ton billet de ce jour est particulièrement émouvant ♥ dans cette première partie. Dans tes photos tu nous redonnes magnifiquement la nature si belle que tu portes en toi depuis l'enfance. Merci Olivier pour cela ! Pour ton coup de gueule aussi ! Essayons de peser de tout notre poids pour promouvoir et soutenir cette production respectueuse de l'environnement.
    Tu as mis tout ton coeur dans ce billet magnifique, il contient tout, à la fois la réflexion, la beauté et le souvenir reconnaissant.

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  7. magnifique ce dernier cliché

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  8. Un dirait des dessins pour illustrer un livre destiné à apprendre aux enfants le monde agricole.
    Et puis sur une même photo, super cette éolienne qui date d'un autre siècle et que j'ai connue dans mon enfance juxtaposée aux techniques agricoles actuelle.

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    1. Ces éoliennes sont de plus en plus rares, surtout en état de fonctionnement.

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  9. Je n'aurais à te dire seulement ; Merci ! Pour ce billet auquel j'adhère complètement ! La politique agricole est à réviser complètement ! Les agriculteurs se sont endettés et beaucoup de petites exploitations arrêtent leur activité... La course en avant et le "toujours plus" entraînent beaucoup dans le mur...
    Olivier, je te le dis, tu es une belle personne !

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    1. J'ai surtout une vie facile ! Pour voir une "belle personne", il faut aller par exemple chez Paysan heureux -> http://paysanheureux.canalblog.com/

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  10. Tes scènes de campagne sont belles !!!

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  11. Je viens de regarder les photos et après lecture je valide les commentaires, je pense pareil.
    Je suis née et j'ai grandi au centre ville et dès qu'on me disait nous partons en campagne, (we et vacances) je sautais de joie ! Mes plus beaux souvenirs d'enfance ont été réalisé dans un beau village du Haut Doubs. Dès que j'ai pu partir je suis allée vivre loin de là. J'ai dans mes gènes le passé de ma grand-mère elle qui venait des champs et m'a élevé en me disant de ne jamais oublier d'où je venais et d'aimer la terre et surtout de la protéger, je parle peux sur la toile, mais ici je me sens bien grâce a ce que tu nous montres et surtout je m'y retrouves beaucoup. Les plus belles choses sont les plus simples. Je nous imagine tous les "commentateurs commentatrices" du blog d'Olivier autour d'une vieille table marquée par le temps avec un verre de sirop de mûres (maison) où l'on peut lire nôtre âge au fond du verre ! tout en préparant une bonne soupe pour la soirée et pour la veillée nous parlerions de nos souvenirs de gosses dans la campagne !
    MERCI de continuer ce beau partage avec nous et de parler avec ton cœur, cela se ressent à travers tes lignes :-) !

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    1. Merci pour ce soutien émouvant. Et à cette table il pourrait y avoir aussi un "des-tracteurs" pour ne pas être dans la pensée unique ;-).

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    2. Tu as bien fait de me faire la remarque j'en ai pas parlé tellement cela coulait de source pour moi ! Il était même en bout de table pour présider ;-) !

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  12. Très bonne réflexion, je suis d'accord avec ton commentaire, d'ailleurs, s'il n'y avait pas d'aide, les agriculteurs auraient pour la majorité disparus, ça n'est pas normal une telle situation, à l'époque où mes parents étaient agriculteurs ça n'existait pas et il n'y avait pas cette course à la productivité, ils faisaient avec ce qu'ils avaient, bonne ou mauvaise année et on n'est pas mort de faim malgré les 7 enfants à nourrir ..........
    J'aime beaucoup la 3ème photo avec l'éolienne, c'est vrai qu'on en voit de moins en moins. la 5ème me plait aussi, on dirait un dessin. La dernière est très belle avec ces nuages qui annoncent la pluie !

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    1. J'aime bien aussi l'effet dessin de la cinquième photo. Je constate que le billet d'aujourd'hui fait réagir beaucoup des habitués du blog, ce qui me fait plaisir.

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  13. La photo de l'éolienne est impressionnante à tout point de vue. Elle fait même un peu nord américaine. Étant fils d'agriculteur, employé dans le milieu agricole en France, au Canada et des contacts réguliers avec les Etats-Unis, je ne peux que soutenir l'agriculture en générale. Personnellement, pour connaître le milieu agricole des 3 pays cités, le point commun : la grande distribution est une véritable gangrène qui pourrie et assassine les producteurs, peu importe les pays. La grande distribution abuse, manipule et ne respecte pas grand chose aussi bien vis à vis des producteurs que des consommateurs. Ce n'est pas un hasard si dans ces trois grands pays, l'opinion des producteurs est similaire.

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    1. La grande distribution est un concentré de tout ce qu'il y a de plus toxique dans une logique purement économique dont l'objectif est le profit. Mais elle est comme cela parce que les consommateurs l'acceptent. A chaque fois que nous allons faire nos courses dans un supermarché (ce qui m'arrive régulièrement, car comme la plupart des gens je cède à la facilité), nous cautionnons un peu plus ce système, alors que nous sommes pourtant parfaitement informés de la manière dont les centrales d'achat traitent les producteurs. Seuls les consommateurs peuvent faire changer les choses, mais la plupart d’entre eux font semblant de ne rien voir. Il râlent contre les caisses automatiques qui "suppriment des emplois" et se donnent bonne conscience en préférant une caisse traditionnelle, alors que leur chariot est rempli de denrées produites à des milliers de kilomètres et/ou bourrées de produits chimiques, et achetées à des producteurs saignés à blanc...

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